4 questions pour demain avec Florent GUIGNARD #médiaengagé
Ingénieur de formation, Florent Guignard est depuis toujours passionné par la presse, les débats et les sujets de société.
À l’origine du concept développé dans Le Drenche, fondé il y a 5 ans et désormais premier journal étudiant en France, il souhaite apporter à la société un moyen de se forger sa propre opinion facilement et gratuitement. Ex-président de Démocratie Ouverte, il porte avec ce média la vision d’une société plus participative et plus compréhensive des opinions différentes.
“Il faut que l’on soit radicaux dans nos choix, dans la manière d’être, pour ne plus accepter des choses qui jusque là nous faisaient réagir mollement, au mieux par un post sur facebook et au pire par rien du tout.”
1. Qu’avez-vous fait de totalement inédit durant cette période que vous n’auriez pas osé faire autrement ?
J’ai testé deux choses pendant le confinement, une perso qui est la coupe de cheveux maison ! Alors, ça ne se voit pas, parce que je suis repassé chez le coiffeur depuis, mais ca je n’aurais pas osé sans le confinement. Et une à titre à la fois perso et pro, qui est que j’ai l’impression que je me suis remis à douter de ce que je voyais, de ce que je lisais. J’ai l’impression qu’on a eu en termes d’informations une période extrêmement prolifique à la fois en rumeurs et en informations imparfaites, imprécises et en fake news. Et du coup je me suis remis à douter de ce que je voyais à travers mes proches, de ce qui était annoncé dans des boucles whatsapp, de ce que je voyais aussi dans les médias _ on a quand même eu des Prix Nobel de médecine qui venaient colporter des fakes news sur des médias nationaux à des heures de grande écoute _ et du coup tout ça m’a fait me rendre compte que même si je travaille dans un média, je suis très loin d’être infaillible. Je pouvais aussi croire des choses qui en fait s’avéraient être fausses ou qui avaient l’apparence d’être vraies et qui pouvaient s’avérer fausses. Je me suis remis à douter et je pense que c’est une chose à la fois dramatique et à la fois très saine pour se reposer des questions et essayer de rebâtir ou d’avancer sur des bases plus saines.
2. Quels changements avez-vous observés et qui pourraient s’installer durablement ?
Je noterais deux changements, ça c’est ma déformation avec le Drenche, un positif et un négatif.
Le changement positif c’est que j’ai l’impression que le confinement nous a recentré sur beaucoup de choses que l’on considérait tous comme essentielles mais qui, dans notre vie de tous les jours, ne passaient pas du tout en premier. Typiquement le fait d’appeler nos anciens. Pour moi c’était mes grands parents. C’est quelque chose que l’on faisait de temps en temps, que l’on avait tendance à laisser passer un peu. Pendant le confinement de très nombreuses familles ont choisi de prendre beaucoup plus de nouvelles des proches, des amis, des anciens et ça je pense que c’est un changement fondamental qui nous a recentré sur quelque chose que l’on considérait tous comme essentiel mais qui passait un peu en dernier au quotidien. Ça c’est quelque chose que j’aimerais garder.
Un autre changement que j’ai vu et qui pourrait s’installer aussi et malheureusement, c’est ce phénomène qu’on appelle les bulles de filtre ou les bulles d’opinion. Je fais une mini parenthèse pour détailler ce que c’est une bulle d’opinion. C’est ce phénomène très naturel qui fait qu’au quotidien on a tendance à discuter, à avoir des amis, à échanger avec des gens qui sont déjà d’accord avec nous. En général parce que l’on a les mêmes valeurs et les mêmes modes de pensées. Ce phénomène s’est énormément accéléré avec notamment les algorithmes personnalisés c’est à dire que sans que l’on s’en rende compte, Facebook, Youtube, Google etc nous servent des articles qui nous donnent l’impression d’avoir un panel sur l’information représentatif du monde entier, mais qui en fait sont des articles qui ont tendance à être déjà d’accord avec nous. Au final, on est enfermé dans une bulle de gens qui pensent exactement comme nous, ce qui fait que l’on a tendance à ne plus voir, et du coup ne plus comprendre, les gens qui pensent différemment.
Ça a toujours existé mais c’est un phénomène qui s’est beaucoup renforcé ces dernières années et j’ai l’impression que le confinement a encore accéléré les choses. De plus en plus des bulles cohabitent et ne se parlent plus, ne se comprennent plus. Des personnes qui ont rejeté en bloc les médias, les politiques et scientifiques vont recréer des bulles complètement à part de la société ou à part de ma bulle à moi en tout cas, et j’ai peur que ces bulles ne se comprennent plus. En général, ça annonce des tensions dans la société qui sont très fortes. Je pense qu’il est urgent d’essayer de recréer du lien et de la compréhension entre ces bulles mais malheureusement ça j’ai un truc c’est une habitude qui a été pris accélérée pendant le confinement et qui malheureusement risque de se prolonger.
3. Quelles solutions concrètes selon vous pour accélérer la transition écologique et sociale ?
La première solution, c’est la minute auto promo, je dirais que c’est Le Drenche. Lisez Le Drenche.
Le principe du Drenche est très simple, c’est un journal où pour chaque question d’actualité, vous allez pouvoir lire deux personnes légitimes, compétentes et engagées, mais l’une qui
défend le pour l’autre qui défend le contre. Le but, c’est que vous puissiez construire votre opinion ou si vous en avez déjà une, l’enrichir ou la challenger.
Avec beaucoup d’humilité, on a des résultats qui montrent que l’on contribue à tisser des passerelles, à améliorer un tout petit peu la compréhension entre personnes qui pensent différemment. Le site internet est gratuit, donc n’hésitez pas à l’utiliser. Je pense que c’est une des premières choses. Chercher à discuter avec des gens qui ne sont pas d’accord avec vous non pas pour les convaincre _ parce que vous ne les convaincrez pas _ mais pour comprendre comment ils pensent. Amorcer un dialogue, garder du lien avec des gens qui pensent radicalement différemment de vous, ça je pense que c’est essentiel.
Le deuxième conseil, avec mon ancienne casquette de président de Démocratie Ouverte c’est que beaucoup de choses dans la société sont politiques, donc, ne restez pas loin de la politique. On a tendance en France à soit considérer que la politique est tabou dans le cercle privé ou dans le milieu familial, soit à être désabusé, et je vais pas critiquer ça il y a des raisons qui font qu’on est désabusé de la politique, mais en tout cas je pense qu’il est temps de se réapproprier la politique. Donc engagez-vous, que ce soit par le vote, par le bénévolat ou par votre propre candidature. Beaucoup de choses sont politiques et je pense que les citoyens ont besoin de se réapproprier le monde politique aujourd’hui.
Le troisième conseil, c’est soyez radical. Pas radical radicalisé mais radical dans le sens étymologique du terme. Soyez radical dans vos actions et n’acceptez plus toutes les choses que l’on accepte habituellement. Tous à notre manière en ne faisant rien on accepte. Les soignants mal payés, les sans abris qui meurent dans la rue etc. En ne faisant rien passivement on accepte. Je pense que de plus en plus, il faut que l’on soit radicaux dans nos choix, dans la manière d’être, pour ne plus accepter des choses qui jusque là nous faisaient réagir mollement, au mieux par un post sur facebook et au pire par rien du tout.
4. À votre échelle individuelle, qu’allez-vous faire ?
Je pense que le dernier conseil que je donnais “Soyez radical” s’applique en tout premier lieu à moi. Je pense qu’il faut effectivement que je bouge pour ne plus accepter certaines choses que passivement j’acceptais jusqu’ici.
Le deuxième point, je l’ai dit déjà, c’est d’aller parler à des gens qui ne sont pas d’accord avec nous dans une démarche vraiment ouverte. Je dois me l’appliquer à moi-même parce que c’est quelque chose qui demande énormément d’efforts. Cela demande beaucoup d’efforts personnels d’aller parler à quelqu’un qui n’est pas d’accord avec nous surtout quand ça touche à des convictions politiques ou religieuses.
La troisième chose vient d’un vieux proverbe que j’ai retenu qui dit “Plutôt que de critiquer les ténèbres allume une bougie”. C’est se dire que ce que l’on critique ce que l’on a envie de changer dans la société, on va essayer, à une toute petite échelle, de le faire. Que ce soit pour nos habitudes de consommation ou pour nos habitudes d’informations car il ne faut pas oublier que l’information c’est une consommation comme une autre _ on parle beaucoup de bio pour la nourriture, il faudrait presque un label bio pour l’information. Je pense que c’est très important de choisir sa consommation d’information comme on choisit ses consommations d’alimentation.
Par nos petites actions, que ce soit au quotidien, vis-à-vis de nos voisins, de notre famille, de nos actes d’achat et de nos actes d’informations, arrêter de faire ce qui nous tire vers le bas. Arrêter de s’informer via les réseaux sociaux ou les notifs, ces choses qui nous tombent tout pré mâchées dans la bouche, et, comme pour l’alimentation, refaire des choix de consommation en fonction de ce que l’on souhaite vraiment.
Ainsi il est important de s’engager à titre personnel mais aussi d’inciter d’autres personnes à s’engager dans des actions de démocratie participative. Faire participer les citoyens à la décision publique, que ce soit par des consultations, par la Convention Citoyenne pour le Climat qui réunit 150 citoyens tirés au sort pour imaginer des solutions pour la transition énergétique. Face à ces initiatives, il faut non seulement, montrer du soutien et moi je vais essayer de le faire encore plus mais aussi s’engager, participer pour amener des idées, faire du nombre parce que c’est que comme ça qu’on arrivera à changer le monde.
Encore une chose à ajouter ?
Il y a un proverbe arabe que j’aime beaucoup et qui dit “C’est que quand il fait suffisamment nuit qu’on peut voir les étoiles”
On parle beaucoup de solutions pour un monde différent qui étaient faiblement visible jusque là et je pense qu’aujourd’hui on commence à avoir cette nuit symbolique, cette remise en question, cette perte de confiance dans la manière dont on a fonctionné jusqu’à présent. C’est aussi un motif d’espoir énorme. Quand il fait nuit qu’on peut voir les étoiles, c’est là que l’on va voir ces petites solutions qui en fait existent déjà et qui étaient invisibles parce que masquées par le soleil. Elles sont déjà les prémices d’un monde idéal qu’on pourrait construire demain.
Propos recueillis le 02/06/2020.
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