4 questions pour demain avec Mathilde Imer #actioncitoyenne
Mathilde IMER est co-présidente de Démocratie Ouverte, membre du comité de gouvernance de la Convention Citoyenne pour le Climat et coordinatrice de campagne chez Onestprêt.
“C’est à nous citoyens de prendre la parole sur ce que l’on veut vraiment. Relancer la même économie qu’hier ou, utiliser ce moment pour faire autre chose, sortir de l’aveuglement et essayer de faire autrement. ”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
La première chose, c’est notre vulnérabilité. Même en étant écolo, en entendant parler beaucoup d’effondrement des sociétés etc., le fait de vivre une telle crise, de devoir être confinés pendant plusieurs longues semaines, c’est le vivre de l’intérieur. C’est comme si une information qui était dans la tête descendait dans les tripes. Il ya vraiment un truc comme ça que je sens dans la société, où ça passe par le corps et je crois que c’est ça qui fait bouger l’être humain. Ce sont des choses qui passent par les émotions et les tripes. Je pense donc que ca peut avoir un impact assez fort.
La deuxième chose la plus importante, c’est que ça m’apprend à quel point j’aime les gens et j’aime voir les gens. J’ai beaucoup de mal avec ZOOM, j’ai l’impression de passer ma vie sur cette application, qui marche très bien par ailleurs, mais ça me manque de voir les gens, de juste boire des bières, de prendre du temps… Quand je pense à ce qui est important dans ma vie, je me rends compte que la qualité des liens est une des choses fondamentales pour moi, je la prends un peu pour acquise en temps normal or c’est vraiment quelque chose que je souhaite renforcer demain à court et à long terme.
Je crois que ce sont les deux choses principales et après il y a évidemment tout ce qu’on peut en tirer de leçons sur les transformations de la société qu’il faut absolument faire.
On voit bien que notre modèle économique n’est pas du tout adapté à vivre des chocs aussi importants et pourtant on sait bien que cette crise sanitaire, bien qu’elle soit extrêmement importante, n’est qu’une répétition, comme le disent certains, de crises qui peuvent être beaucoup plus violentes demain. Je pense en premier lieu au changement climatique. Ca fait des dizaines d’années que les scientifiques du monde entier nous alertent. Ma crainte c’est de savoir si on va relancer l’économie d’hier comme avant, ou, si l’on va se mettre en capacité de dire que, évidemment il faut relancer l’économie, mais pas n’importe comment. Parce que bien sûr que l’on ne va pas laisser des gens au chômage et tuer tous les emplois, par contre, il faut en profiter pour faire une transformation suffisamment importante pour que notre économie soit plus résiliente. C’est un mot intello, la résilience, mais que je trouve aussi très beau, ça veut juste dire être capable d’absorber les chocs. La nature sait très bien le faire, notre société pas du tout. J’espère donc que l’on va réussir à faire ce pas, en tout cas je mets beaucoup d’énergie dans ce sens là aujourd’hui.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
La première chose c’est que cette crise rend entendables voire même souhaitables, des idées qui jusqu’ici paraissent saugrenues, bisounours, ou complètement décalées.
Donc pour moi ça peut aller dans les deux sens, ça peut aller vers une accélération du modèle néolibéral, on relance et puis on va encore plus loin dans la dérégulation, ou alors, aller vers une transformation où l’on prend vraiment conscience que l’on fait partie de la nature, qu’il n’y a pas l’homme d’un côté et son environnement de l’autre. Si un virus peut nous toucher de manière aussi importante, c’est qu’on a oublié un truc fondamental, c’est le lien qui nous unit la nature. Un lien parfois violent et néfaste pour l’homme, comme c’est avec ce virus, mais la plupart du temps bénéfique.
Comment devenir un peu plus humble, se replacer au bon niveau dans la nature et avoir des liens et des relations plus saines avec la nature ? Ce serait bénéfique non seulement au niveau sociétal mais aussi au niveau individuel. C’est pour ça que j’ai pas mal de difficultés avec les notions de décroissance par exemple. Si je suis pour la décroissance du PIB, je suis pour la croissance en termes de lien humain, je suis pour la croissance en termes de relation à la nature. Il s’agit d’imaginer ce que veut dire une société, une économie, qui fonctionne bien. Je crois que pour le coup, que ce soit auprès des scientifiques, de la société civile ou des territoires, il y a beaucoup de choses à apprendre qui se font déjà depuis des années mais qui en sont encore au stade d’expérimentation et mériteraient de monter d’un cran.
C’est à nous citoyens de prendre la parole sur ce que l’on veut vraiment. Relancer la même économie et du coup se reprendre des crises dans trois, cinq, dix ans ? Ou, utiliser ce moment pour faire autre chose, sortir de l’aveuglement et essayer de faire autrement.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Je pense que c’est surtout ne pas rester muet ! On est quand même tous confinés chez nous, c’est hyper chiant et on est un peu tous sidérés. On regarde les infos pour comprendre où ça en est le virus, combien de morts, que fait le gouvernement, … et ce n’est pas évident de se dire “bah moi dans mon petit canap qu’est-ce que je peux faire ?”. Or je pense au contraire que c’est un moment où il faut créer le débat dans la société, il faut ouvrir les idées. Et donc, je pense qu’il faut prendre la parole.
C’est ce que l’on a voulu faire avec “Nous les premiers”, la lettre ouverte au Président de la République. C’est vraiment pour dire voilà le gouvernement a ses responsabilités à prendre, mais nous acteurs territoriaux, nous acteurs la démocratie participative, nous citoyens et citoyennes, nous ONG, on a envie d’avoir notre mot à dire sur la construction du monde de demain. Et on a plein d’idées et on souhaite contribuer et on ne veut pas que le gouvernement décide tout seul ! Parce qu’aujourd’hui, il est trop focus sur la crise pour avoir les yeux suffisamment ouverts à ce qui peut se passer de bénéfique.
Or il ne faut pas “gâcher cette crise” comme le dit Bruno Latour mais en faire quelque chose d’utile pour la société à l’avenir.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
Ce que l’on essaye de faire avec Démocratie Ouverte et cette lettre ouverte “Nous les premiers” c’est de proposer un scénario démocratique pour sortir de la crise.
On voit bien aujourd’hui que le gouvernement prend beaucoup de décisions seul et on comprend aussi qu’il y a urgence donc l’idée n’est pas de dire que l’on va créer une usine à gaz impossible à gérer dans le temps imparti, mais par contre de savoir intégrer les territoires et les citoyens au bon moment. C’est ça notre savoir-faire chez Démocratie Ouverte, proposer des méthodologies démocratiques et coaliser un certain nombre d’acteurs qui pourraient se reconnaître. On souhaite allier les gens sur la forme, sur le comment débattre pour qu’ensuite les différentes idées, quelles qu’elles soient car il ya des gens qui ont des avis très contradictoires, puissent au moins créer ce débat dont on a besoin dans la société. Si on n’a pas ce débat, on fait quoi, on reste tous amorphes et puis on recommence comme hier, comme si cette crise ne nous avait rien appris ? Et puis, on attend la prochaine crise ?
Je pense qu’on a tous compris que là, il fallait se bouger, et donc nous ce qu’on propose c’est une méthodologie sur la forme. Ensuite on essaye de coaliser au maximum pour que la sortie de crise nous fasse sortir par le haut et construire une société de demain plus souhaitable.
Pour décrire cette méthode démocratique, il y a trois grandes phases :
Dans la phase 1, on voit là le gouvernement qui annonce des plans de sauvetage de l’économie. Ce qu’on lui dit en substance c’est, gouvernement, prenez en compte ce que disent les citoyens la Convention Citoyenne pour le Climat. Ils ont fait un travail magnifique pendant six mois, écoutez-les. Ils ont fait cinquante propositions et ils demandent de flécher les investissements vers les acteurs d’avenir qui prennent en compte la question du changement climatique.
Le deuxième temps ça va être celui que le gouvernement appelle la relance. Une fois qu’on a évité le trop de casse, comment est-ce qu’on relance l’économie ? Là, il y a vraiment un gros choix à faire, entre le monde d’hier et le monde de demain. Et donc pour qu’il y ait ce débat, on propose la création d’un Conseil National de la Transition qui rassemble ONG, entreprises, élus locaux, société civile et citoyens pour que collectivement on puisse dessiner un plan qui nous ressemble. On veut vraiment que ce soit nourri par la parole citoyenne. Donc, on a mis en place une plateforme qui traite toutes les données de toutes les plateformes de consultation qui se mettent en place, comme le Jour d’après ou l’initiative du wwf avec make.org, pour qu’à un endroit, une synthèse soit faite qui puisse nourrir ce Conseil National de la Transition.
On souhaite aussi agir au niveau local parce que les territoires sont aujourd’hui en première ligne. Il faut que les territoires puissent faire remonter tous les projets de transition écologique et sociale qui sont dans les cartons depuis des années faute de financement, pour qu’ils soient intégrés dans ce fameux plan de relance. Que ce ne soit pas juste une relance au niveau national, hors sol mais vraiment une relance qui parte des territoires, et que l’on apprenne aussi de la crise des gilets jaunes que l’on a connue il y a quelques mois maintenant dans notre pays.
Et puis ce que l’on propose à la fin, le troisième temps, c’est la mise en place d’une Assemblée Citoyenne du Futur pour que l’on crée les conditions de la résilience. Comment faire en sorte que nos sociétés demain puissent avoir une réception au choc pas aussi dure que ça ? Comment est-ce qu’on s’adapte pour que, quand il y aura un choc _ et il y en aura de plus en plus, tous les scientifiques le disent notamment sur la question climatique et sur la question de l’effondrement de la biodiversité,_ on soit en capacité de réagir de manière efficace.
La citation qui me vient à l’esprit c’est celle d’Einstein qui disait en gros que croire que l’on va avoir un résultat différent en recommençant exactement la même chose c’est être un peu débile dans le fond et c’est ça la question qui nous est posée aujourd’hui et pas seulement au gouvernement.
Et peut-être une dernière chose qui m’a marquée, cette idée que quelque chose qui croît de manière continue n’est pas naturel et n’est pas souhaitable. Peut-être que c’est le moment de se dire que l’on est arrivé à l’âge adulte et que l’économie doit arrêter de croître sans cesse pour arriver à un stade de maturité. Nous humains on n’est pas en croissance continue, on ne va pas mesurer 4 mètres de haut, on s’arrête de grandir mais on mature. Donc arrivés à l’âge de maturité, comment est-ce qu’on fait société collectivement sans forcément avoir une croissance infinie qui aujourd’hui je pense nous rend malades et même tristes.
Propos recueillis le 30/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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