4 questions pour demain avec Inès LEONARDUZZI #numérique
Auteure et conférencière, Inès LEONARDUZZI est CEO de Digital for the planet. Elle est aussi la fondatrice d’une association visant à promouvoir l’entraide professionnelle entre femmes, The Wit. En 2019, elle est désignée « Young Leader Franco-britannique » par les ambassades française et britannique.
Son dernier ouvrage : “Nos Folies Numériques – Du Bon Et Du Mauvais Usage Des Nouvelles Technologies” aux éditions Allary.
“Le numérique ce n’est pas virtuel, ce n’est pas une industrie qui ne se voit pas et qui n’a aucune incidence sur la planète.”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
Elle nous enseigne plus que jamais l’interdépendance qu’il y a à entre l’économie l’écologie et la santé. C’est la première chose. Ce que je veux dire par là c’est qu’on réalise que les besoins industriels de notre société génèrent la déforestation, l’artificialisation toujours plus accrue des territoires sauvages et de fait et bien des déséquilibres écosystémiques et des conflits interspécifiques.
C’est ce que j’explique dans la tribune que j’ai écrite d’ailleurs “Le pangolin n’y est pour rien”. Ce qu’on retient c’est que tous nos modes de fonctionnement sont à revoir parce que finalement les pandémies sont déjà de plus en plus régulières et fréquentes depuis une dizaine d’années, même voire un peu plus, et ça va aller dans le même sens dans les années qui vont venir.
La deuxième chose peut-être, c’est de montrer à quel point le numérique est au coeur de tout. Surtout au coeur de nos échanges, de notre façon de fonctionner plus que jamais à l’heure où l’on est confiné et que l’on n’a pas d’autre choix que de rester chez soi. Donc c’est peut-être le moment de faire en sorte que le numérique soit responsable, le plus bas carbone possible, parce que le numérique c’est pas virtuel, c’est pas une industrie qui ne se voit pas et du coup qui n’a aucune incidence sur la planète, c’est de la sollicitation d’énergies fossiles dans la plupart du temps, c’est de la demande en eau pour refroidir les centres de stockage de données. Tout ça sur une planète où une grande partie de l’humanité n’a pas d’eau potable et où grand nombre d’enfants meurent en bas âge parce qu’ils n’ont pas d’eau salubre. C’est important à comprendre et surtout à l’heure où, aujourd’hui, le numérique a une place prépondérante dans nos vies.
Et l’autre chose pour le numérique c’est également qu’il soit davantage démocratique parce que si on est contraint à passer plus de temps en ligne, il faut que l’on puisse comprendre davantage comment ça marche. Quelle est la cuisine derrière, qu’est-ce que ça engage quand je vais sur tel ou tel site, qu’est-ce que ça veut dire quand j’accepte des cookies, quand je laisse mes données. Donc le numérique doit devenir de plus en plus démocratique et transparent. Trop peu de citoyennes et citoyens aujourd’hui le savent, je trouve ça dommage et terrible.
Peut-être une troisième chose un peu plus personnelle, c’est le bonheur des choses simples le fait de profiter d’aller dîner avec des amis sans me poser la question si je vais tomber malade, d’aller chercher mon pain en bas de la rue sans me poser la question si je vais tomber malade…
Voilà le plaisir des choses simples, ça aussi c’est quelque chose qu’on peut prendre en compte à l’heure où on se fait beaucoup de mal pour finalement des sujets tellement superficiels. En fait on se rend compte que quand on a la chance d’être avec les siens, la chance d’être en bonne santé et la chance de pouvoir être libre de ses mouvements, dans la société que l’on a construite, c’est déjà un énorme luxe.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
Qu’est ce que cette crise pourrait changer dans le système ? D’abord on pourrait imaginer de changer la manière dont on éduque les enfants.
Ce que j’entends par là c’est que je pense qu’il est temps pour que le développement durable et l’écologie _ je sépare bien les deux, l’écologie étant l’étude de l’habitat, on ne peut pas bien vivre là où l’on est, si on ne comprend pas comment là où l’on est, fonctionne et puis, le développement durable qui est une doctrine économique et qui consiste à faire durer les ressources le plus longtemps possible _ pour faire très simple, ces disciplines là devraient être enseignées aujourd’hui à l’école, dès le plus jeune âge, parce que comment voulez-vous impliquer les gens, s’ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Il ya plein de gens qui ne font pas la différence entre écologie et développement durable et ça, ça concerne aussi les plus jeunes. Donc je pense qu’aujourd’hui que si l’on a envie d’avoir une humanité consciente, il faut commencer par l’éducation. Je pense qu’aujourd’hui c’est le meilleur moment pour le faire et puis ça ne demande pas grand chose en fait, juste de la volonté.
Une fois qu’on a dit ça, c’est aussi comment on repense concrètement ce que ça veut dire. C’est bien de l’enseigner à l’école mais aussi le palper, on peut comprendre ce qu’est la nature que quand on la touche. Il y a plein d’enfants qui ne savent plus jouer dans un jardin. Il fut un temps il y avait le service militaire mais aujourd’hui on n’a plus besoin de gens qui sachent manier les armes par contre on a besoin d’une jeunesse qui sache respecter la nature. Donc pourquoi pas un service écologique d’un mois au sortir du lycée. Et puis peut-être pour les enfants des villes, créer des fermes urbaines. Ca pourrait déjà nous permettre de mieux palper ce dont on parle, ce qu’on demande à la nature pour faire des choses saines pour nous.
Et puis dans les territoires ruraux ce serait d’aller aider les agriculteurs qui sont en grande souffrance.
On peut aussi repenser la fiscalité. La fiscalité durable, on a commencé à la Coop 21 à travailler sur ce sujet, aux accords de Paris aussi en 2015 et puis ça a été mise à l’index. C’est peut-être le meilleur moment de repenser la fiscalité durable.
Et puis pourquoi pas aussi, le système juridique, inventer des états généraux du système juridique français voire européen. Et puis voir comment on peut revaloriser les communs, comment on peut garantir la protection directe et indirecte de l’humanité, des gens, parce qu’aujourd’hui il n’y a rien qui nous défende des injonctions industrielles.
Il y a plein de choses, on pourrait en parler mille ans, arrêtez-moi tout de suite.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Moi je vais faire très simple en réponse je pense que le simple fait de prendre conscience que la planète n’est pas un habitat qui nous est dû, c’est déjà énorme. Ca impliquerait de l’humilité, un devoir de mémoire aussi, se rappeler des gens qui n’ont pas survécu à cette crise sanitaire mais également des gens qui n’ont pas survécu en aidant, en sauvant les gens. On parle des soignants mais il ya aussi les éboueurs, ceux qui nous permettent la garantie d’une dignité humaine ces gens là il faut s’en rappeler.
Donc je pense que déjà si on arrive à se mettre dans cette posture, on aura beaucoup appris. Comprendre que rien n’est un acquis. Cette prise de conscience, elle serait déjà énorme dans un monde où l’on pense que tout nous est dû très souvent. Sans vouloir faire dans la moralité, je pense qu’à un moment donné, on a besoin de se dire ces choses-là.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
Qu’est ce que je vais faire moi ? Déjà continuer en essayant de faire toujours mieux ce que je fais, donc d’être engagée pour l’environnement. Trouver le moyen de créer des solutions pour que ce soit le plus facile possible pour les citoyens qui souhaitent s’engager.
Mais à titre très personnel, ce que je vais faire c’est encore plus apprendre à mon fils _ parce que je suis jeune maman _ à quel point la nature elle est belle mais elle est aussi fragile. Parce que je ne pense pas qu’on apprenne aux gens en faisant peur ou en donnant des interdits. Les gens font ce qu’il faut parce qu’ils ont appris à aimer une chose et à la respecter. Je vais donc m’atteler surtout à ça.
Il faut savoir que la pollution numérique environnementale est composé à 75% de la fabrication des appareils électroniques et de leur mauvais recyclage.
La pire façon d’impacter la planète c’est d’acheter les nouveaux équipements et de jeter les anciens de la mauvaise façon. Donc évitez d’acheter des nouveaux appareils si vous n’en avez pas besoin et surtout ne succombez pas à l’appel du déchet électronique dans la poubelle ! Surtout en ce moment, attendez que l’on sorte du confinement et qu’il y ait des points de collecte qui soient là pour ça.
Propos recueillis le 16/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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