4 questions pour demain avec Marc de la Ménardière #quêtedesens
Marc de la MENARDIÈRE est entrepreneur, globetrotter et réalisateur. Co-auteur du film En Quête de Sens (2015) et co-fondateur de l’Espace Totem.
“On ne peut pas demander au monde d’être ce qu’on n’incarne pas ! ”
1. Que nous enseigne la crise actuelle ?
Pour moi la crise nous enseigne beaucoup de choses mais j’en retiendrais 4 :
D’un point de vue symbolique tout d’abord, la crise nous enseigne d’abord le karma ! Dans le sens où ne peut s’affranchir de certaines lois sans en payer les conséquences… C’est comme si maman nature nous avait puni, en nous disant “vous restez dans vos chambres le temps de réfléchir à vos bêtises et vous sortirez quand vous aurez compris la gravité de vos actes et promettrez de faire autrement…” Donc ignorer les lois fondamentales du vivant et de ses chaînes d’interdépendances fragiles à de lourdes conséquences. Ce virus est dû en partie à la déforestation qui bouleverse profondément l’équilibre des écosystèmes. On sait d’ailleurs qu’une augmentation des températures risque de faire exploser ce genre d’épidémie… Donc c’est une invitation à reconsidérer la véritable richesse que sont les écosystèmes qui gratuitement filtrent l’air, l’eau, régule tout ce qui permet les conditions d’une existence « vivable » sur terre…
Le deuxième enseignement systémique et le plus visible c’est la vulnérabilité du système : une écaille de pangolin ou un battement d’aile de chauve-souris en Chine peut enrhumer/gripper un système économique planétaire… Ce système hors sol, déconnecté des fondements de la vie et idéologique, n’est pas résilient en cas de crise…. A force de maximiser le profit, en réduisant les chaînes de production pour fonctionner à flux tendu, en uniformisant, les comportements des individus pour leur vendre les mêmes produits pas chers sans payer le coût humain et écologique des choses, on a créé le contexte pour un désastre prévisible.
Le troisième enseignement, est le plus réjouissant pour moi sur le basculement soudain des valeurs de notre société. L’économie s’est arrêtée pour la première fois pour prendre soin de la vie ! Ça c’est possible, c’est beau, il faut le célébrer et c’est d’ailleurs la nouvelle direction à prendre pour nos sociétés. C’est possible que tous les Etats, les entreprises, et la société civile se coordonnent pour résoudre un grand problème en mettant au centre la vie. Aujourd’hui si c’est possible pour le Covid19 pourquoi pas demain pour enrayer la déforestation, le dérèglement climatique, promouvoir l’accès à l’eau, fermer les paradis fiscaux, gérer autrement les crises migratoires … Donc je pense qu’un certain nombre d’arguments, de postures des gouvernants sur « on peut pas changer » ne tiendront plus…. On assiste à une nouvelle hiérarchisation des valeurs qu’il faudra continuer de renforcer.
Et enfin à titre personnel, la crise nous enseigne et nous pousse à différencier ce qui est superflu de ce qui est essentiel. Pendant cette crise et ce confinement on réalise que ce qui compte vraiment au fond c’est la santé, avoir à manger, sortir dans la nature avoir des interactions sociale ! On a surtout besoin d’amour d’affection de lien, de sens…. Donc la réflexion qui vient, c’est « comment l’économie et l’organisation de nos sociétés peuvent elle être au service de ces besoins avant toute chose » ? Cela oblige aussi à reconsidérer l’utilité sociale d’un certain nombre de métiers et de secteurs pour se focaliser sur ceux qui sont utiles et en finir avec les métiers nuisibles…
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
La question est-elle « ce qu’il faut changer « dans » notre système » ou plutôt « faut -il changer de système » ? Changer le pansement ou penser le changement comme disait l’autre… Pour moi c’est d’abord changer notre système de pensée qui engendre nos comportements destructeurs.
Revenir à un Etat providence plutôt qu’au seul dieu marché.
Nous sommes le Lundi 28 mars, je ne suis pas devin, mais mon intuition : ce n’est pas juste une pause, c’est un crash qui se prépare et qui aurait eu lieu même sans la crise du Covid-19. En tout cas, jamais dans une économie à flux tendu on a vécu des ruptures d’un mois voir plus… Donc il va y avoir des faillites d’entreprise, du chômage massif, il va donc falloir un retour de l’Etat providence pour amortir la chute. Et cela devrait passer par un retour de la planification, une la relocation de l’économie, la nationalisation d’un certain nombre de secteurs…. D’un point de vue financier, ne pas faire comme en 2008 avec la crise des subprimes, Si certaines banques sont en faillite ne pas leur redonner un chèque en blanc mais les obliger à supporter l’économie réelle, l’Etat doit donc prendre des parts dans ces banques pour s’assurer ensuite qu’elles ne jouent pas l’argent sur les marchés et au niveau international. Il faudrait aussi revenir à la séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement.
Transition économique et économie symbiotique
Il y a urgence à investir massivement dans la transition écologique car il y aura du travail pour tout le monde si l’on pense dépolluer les océans, planter des arbres, changer le modèle agricole (il faut des bras pour une nourriture saine), recréer du lien social, de l’intergénérationnel, concevoir et produire des objets dans une économie symbiotique régénératrice…. En résumé « prendre soin des écosystèmes naturels et humains ».
Le débat sur la nécessité d’une allocation universelle :
Cela va ouvrir un débat sur une allocation universelle minimum pour amortir la chute et permettre aux humains de choisir le sens de leurs activités ou autrement dit, au service de quoi chacun passe 7 heures par jour toute sa vie… Pour ça, il faudrait aller chercher l’argent là où il est, c’est-à-dire dans les paradis fiscaux. Pour la France selon le Figaro, ça représente 300 milliards d’euros soit 15% du PIB, c’est énorme et c’est disponible, c’est une question de volonté et de conscience…
Refonder les processus démocratiques.
On ne pourra relocaliser l’économie que si les humains reviennent décider du sens de l’économie… Donc revoir complètement notre système démocratique, encadrer le lobbying et punir sévèrement la corruption… Tout ce qu’ont mis en avant les gilets jaunes, pour être plus en démocratie qu’en oligarchie, et œuvrer notamment pour une refonte de la constitution qui permette cette transition écologique et solidaire.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Pour moi rien ne sera plus comme avant, et je pense que cette épidémie va durer même après le confinement, on en a pour un peu plus d’un an vu le type de virus et l’absence de dépistage…. Et la crise économique qui vient va chambouler les choses, nos modes de vies, nos priorités pour de bon. Je ne crois pas à la reprise avec une « courbe en V » ou tout repartirait comme avant. C’est trop grave. Mais comme le disait Boris Cyrulnik, avant-hier : « après une épidémie de cette ampleur ou une catastrophe naturelle, il s’amorce automatiquement un changement culturel. » La question c’est dans quel sens ira-t-il, suspense…
Le risque d’un régime plus autoritaire…
Au sein de nos élites, certains ne cachent plus depuis quelques années leur attrait pour le fonctionnement du régime Chinois, où le marché passe avant la démocratie et où le contrôle social technologique fait passer Georges Orwell pour un ringard. On est entre deux mondes, et ce qui risque d’être tenté c’est la stratégie du choc décrite par Naomie Klein. On profite d’un choc pour imposer des mesures que n’aurait jamais acceptées la population en temps normal, type privatisation, restriction des libertés, retour sur des acquis sociaux… Et puis le temporaire, l’exceptionnel devient le permanent… En tout cas ce qui est sûr, c’est que vu l’enjeu, on a besoin de plus de démocratie pour y arriver, pas de moins…
Ou plus démocratique basé sur une autre vision…
Pour éviter le scénario autoritaire, il faudra un marquage à la culotte du gouvernement, trouver de nouvelles manières de manifester plus fécondes, s’organiser localement et ne pas attendre uniquement que ça vienne d’en haut.
Un système pire qu’avant est possible, mais je crois que c’est trop tard, le roi est nu, les français sont conscients des ficelles, ils aiment trop la liberté, et notre histoire comme celle de notre pensée nous pousse à l’émancipation…. Il faut préparer le futur, se préparer à détricoter toutes les lois liberticides temporaires d’un côté, et surtout commencer à rassembler philosophes, sages, économistes, artistes, entrepreneurs pour bâtir la vision et pousser vers une autre direction, un autre cap, un autre récit : celui qui met en son centre la recherche de l’harmonie… Mais pour moi le sens de l’économie vient de notre vision du monde et de notre rapport au réel.
Se parler, se comprendre pour que le conflit soit fécond….
Par contre, pour y arriver il y aura des conflits, entre ceux qui voudront refaire comme avant, et ceux qui voudront changer… Mais le conflit quand il est bien géré est fécond. Donc pour s’y préparer il faut profiter du confinement pour déconfiner son esprit et prendre le temps de se poser la question du sens autant individuellement que collectivement. Se demander pourquoi on pédale, pourquoi on se lève le matin ? …. Revenir à la cause de la cause des problèmes. Décoloniser les imaginaires de cette culture marchande et en guerre contre la nature qui manipule nos inconscients et joue avec nos pulsions pour réveiller le pire de l’humain. Il va falloir développer l’inverse : on a besoin de l’altruisme, de la compassion, de la bienveillance pour faire face à ce qui vient… Se rendre compte qu’au fond, ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise…
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
On ne peut pas demander au monde d’être ce qu’on n’incarne pas !
Moi j’ai déjà vécu cette situation à mon échelle après un confinement fécond suite à un accident au même moment de la crise de 2008. Je vivais à NYC, et j’ai vu la cupidité qui marquait déjà pour moi, la fin prochaine de ce système donc j’ai anticipé même si je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps! A travers le voyage pour le film En Quête de Sens, j’ai ouvert mon esprit à d’autres manière de vivre que j’ai eu envie de transposer dans mon quotidien… Donc pour moi c’est continuer de faire ce que je fais, incarner ce que je crois être juste… Si la fable du colibris à ses limites, je pense qu’on ne peut pas demander au monde d’être ce qu’on n’incarne pas !
L’intériorité à la base d’une posture altruiste et féconde
Cela fait donc 12 ans que je me suis mis à préparer la résilience, d’abord mentale, comprendre mes pensées l’impact qu’elle sont sur mon corps et ma santé, c’est ce qu’amène aujourd’hui l’épigénétique. J’ai pu le faire en m’ouvrant aux enseignements des grandes traditions de sagesse sans dogmatisme : prendre juste ce qu’elles nous disent des choses sur le réel, l’ego, le conditionnement et cette fantastique découverte à faire en soi. C’est cette introspection qui si elle est une quête authentique et profonde permet d’être au monde autrement… C’est ça dont le monde a le plus besoin, poser des actions moins égocentriques et plus au service de la société et de la vie…
S’impliquer localement
Ensuite après la réalisation du film et un reportage sur les lieux alternatifs en France, j’ai quitté la ville pour vivre depuis 3 ans à la campagne, pas par peur de l’effondrement, mais plus pour la cohérence et la joie que m’apporte de faire mon pain, avec mes céréales, produis mes légumes d’essayer de contribuer à créer du lien social et économique localement. C’est dans cet esprit qu’on on a créé un lieu avec ma compagne pour accueillir les citoyens mais surtout les acteurs du changement ceux qui veulent s’aligner pour que leur action ait un impact.
Du coup, on va continuer de faire expérimenter cet autre mode de vie, et de faire se rencontrer dans un contexte inspirant et bienveillant philosophes, scientifiques, artistes et entrepreneurs pour construire cette nouvelle culture ensemble. Notre lieu, l’espace Totem, s’y prête.
Créer des médias pour nourrir les imaginaires
Et enfin continuer de faire des films des conférences sous d’autres formats avec du sens et de l’humour. Ce qui me passionne c’est de participer à faire les déductions philosophiques de certaines découvertes scientifiques qui nourrissent le nouveau récit ; l’épigénétique les liens entre la conscience, le cerveau, le cœur changent profondément notre rapport à la nature au monde et à nous même donc tout ce qui crée du lien et nous aide à nous déconditionner. Le but ? Que l’humain soit plus aligné avec ses valeurs, interroge le fonctionnement de son ego et requestionne la nature du réel pour s’émerveiller à nouveau du mystère de la vie. Pour moi c’est là que se situent les clefs de l’avènement d’une civilisation plus féconde et harmonieuse, et je pense qu’on y va, on a une fenêtre. C’est maintenant que ça se joue, donc il faut mettre toute notre énergie, notre cœur et notre âme pour faire ce basculement et passer du concept de collapsologie probable à celui de résiliensologie, possible!
Propos recueillis le 28/03/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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