Blockchain, peer to peer, logiciel libre, vive le renouveau d’Internet
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A quelques jours du Paris P2P Festival qui se déroulera à Ground Control du 8 au 12 janvier, nous sommes allés interviewer le collectif à l’origine de l’événement. Histoire de se prendre une bonne leçon de choses et de s’y retrouver dans cet univers à la fois passionnant et annonciateur d’un renouveau du web. Retour aux sources pour certains, innovations pour d’autres, on s’intéresse à un Internet pour le bien commun.
C’est quoi le P2P festival ?
Le PARIS P2P FESTIVAL est un événement ouvert à tous et gratuit qui se déroule à Ground Control, du 8 au 12 janvier 2020.
Durant 4 jours, cette première édition (#0) accueillera des conférences, ateliers, hackathons, assemblées de travail, et expositions ayant pour thématiques communes les échanges en pair à pair (peer-to-peer) sous toutes leurs formes.
Le p2p englobe à la fois des sujets techniques, comme la sécurité des communications, la protection de la vie privée, et d’autres sujets connexes. Elle touche également des sujets sociétaux puisqu’il permet d’imaginer de nouvelles formes d’organisations sociales et de coopérations.
Le P2P est avant tout l’ensemble des idées, technologies et méthodologies permettant aux individus et organisations de disposer d’outils “communs”, répondant à leurs besoins, sans nécessairement impliquer de tiers extérieurs, comme les grandes multinationales qui centralisent actuellement les données.
Quels sont les enjeux de cette première édition ?
Cette édition #0 se veut l’amorçage d’une dynamique commune. Elle est née du constat qu’aucun événement ne traitait de la thématique du peer-to-peer au sens large, qu’il soit technique ou social. Nous souhaitions donc initier une dynamique collective, créer un événement “commun” et non-commercial permettant de promouvoir et encourager les initiatives en cours.
Au départ, nous avons imaginé et lancé des rencontres mensuelles (tous les premiers mercredi du mois, gratuit) puis nous avons décidé de créer un vrai “moment fort” afin de faire profiter de notre dynamique à un ensemble d’organisations et d’intervenants passionnants.
Les thématiques de cette édition zéro seront larges, comme à notre habitude, avec des sujets aussi bien techniques (cryptographie, mesh-network, blockchain…) que sociaux (public commons day, organisations décentralisées et autonomes, etc.). Certaines interventions sont ouvertes, et peuvent aussi traiter d’art et de culture, avec une perspective P2P.
Le web c’est une chance incroyable mais c’est aussi beaucoup de risques et de danger notamment pour les libertés et le vivant. À quoi devons nous être particulièrement vigilant aujourd’hui ?
Une question complexe… qui nécessiterait une réponse longue, mais en deux mots, il est urgent de sensibiliser le grand public et les institutions à la défense d’un internet neutre et ouvert. Protéger ses communications, ses données privées, et s’assurer de la sécurité de nos systèmes d’informations est un des enjeux fondamentaux pour préserver la vigueur de nos démocraties.
Le P2P apporte des solutions alternatives aux services que nous utilisons tous les jours et qui sont sous l’emprise d’entreprises privées ou de gouvernements.
Qu’est ce que le pair à pair peut résoudre / apporter concrètement comme solutions ?
Le pair à pair est à l’origine même d’internet.
Au départ, pour faire simple : chaque terminal (ordinateur) est égal aux autres et bénéficie du même accès à l’information disponible sur le réseau. Les évolutions d’Internet depuis une vingtaine d’années amènent à confier la plupart de nos échanges à des tiers (les GAFAM, les banques et réseaux financiers, les Etats).
Le peer-to-peer permet aussi bien techniquement que philosophiquement de se rapprocher de l’idée de “communs” et d’intérêt collectif. Pour donner un exemple concret, lorsqu’un gouvernement décide de couper internet dans un pays à l’occasion de mouvements sociaux, seul un système d’information pensé en p2p peut résister, puisqu’il est autonome, résilient, et ne dépend ni d’un tiers (opérateur), ni d’une organisation étatique, mais bien de ses utilisateurs.
De nombreux exemples pourraient être donnés, certains sont encore expérimentaux et d’autres déjà opérationnels, mais il nous semble important de promouvoir la possibilité d’un internet des “communs”, respectueux des citoyens.
La blockchain, tout le monde en parle mais personne ne sait vraiment ce que c’est, comment tu nous expliques la blockchain en quelques lignes, pour un néophyte ?
Alors… vaste défi.
Imaginez un grand fichier Excel partagé avec des millions de personnes. Ce grand registre que l’on dit “décentralisé” (ou distribué) enregistre toutes les transactions, et échanges de valeurs, entre ces millions de personnes. La particularité est que ce registre n’appartient à personne et à tout le monde à la fois. Personne ne peut décider de modifier une transaction qui a été vérifiée et inscrite dans la blockchain, car ce grand tableau des comptes est sécurisé et vérifié indépendamment par des milliers d’ordinateurs dans le monde en temps réel.
Ce qu’il faut comprendre de fondamental, c’est qu’internet est à l’origine basé sur la duplication. Lorsque je vous envoie une photo par internet, je dispose toujours de cette photo sur mon ordinateur. Pour la première fois, en 2009 avec Bitcoin, on découvre un protocole permettant de créer un objet unique. La blockchain permet de s’assurer de la “rareté” de ce qu’on appelle un “jeton” (*token), et si je vous envoie ce jeton, alors vous en êtes le seul propriétaire, et je ne l’ai plus moi-même.
En cela, Bitcoin est une véritable révolution, née pendant la crise financière de 2008, ayant pour objectif de s’émanciper du système financier par le biais d’une monnaie p2p appartenant à ses utilisateurs, dont le code est totalement open source.
Peer to peer, open source, blockchain, comment ces notions peuvent elles sortir d’univers très spécialisés et inspirer des changements au sein de la société ?
Les applications du peer 2 peer sont nombreuses, utilisant la blockchain ou non. Nous faisons d’ailleurs partie de ceux qui ne souhaitent pas donner à la blockchain un sens mystique et la présenter comme une réponse magique aux problèmes de nos sociétés.
En revanche, il semble désormais évident que les protocoles peer2peer & blockchain peuvent apporter de nombreuses réponses techniques à des enjeux omniprésents de nos sociétés. Dès lors que se posent des questions de gouvernance, de prises de décisions collectives, de co-financements d’outils communs, ou encore de certification de données, ces protocoles apportent de nouvelles perspectives techniques passionnantes.
Par exemple, on peut désormais créer des “DAO” (Decentralized Autonomous Organization) permettant à des milliers de personnes de créer un fond commun, d’administrer le financement d’un projet, sans qu’aucun des participants ne puisse prendre le “pouvoir”, et sans qu’un Etat ou une organisation commerciale n’en soit à l’origine.
Quelques exemples concrets
- Un collectif de 4 auteurs souhaite écrire et éditer un livre ensemble. Ils peuvent décider de créer une “DAO”. Chacun d’eux va donc posséder des jetons correspondant à des fractions de l’oeuvre. Une fois le livre écrit, ils peuvent proposer à leurs lecteurs d’acheter des fractions de l’oeuvre, et donc de co-financer l’édition. Ils peuvent mettre en place une rétribution des co-financeurs, qui toucheront une portion des droits d’auteurs décidés par les artistes. En quelque sorte, c’est une levée de fonds sans intermédiaire, et sans plateforme de crowdfunding puisque directement en p2p.
- Si demain l’ensemble des chauffeurs de VTC et de taxis se réunissaient pour développer une application qui répond à leurs besoins. Ils pourraient tout à fait imaginer créer un outil commun qui soit co-financé à la fois par les chauffeurs et les utilisateurs.
Certes, il y aurait un travail important de développement au départ, puis des coûts humains de maintenance, mais qu’ils pourraient tout à fait porter collectivement.
Ainsi, une marge de 25% prélevée par une entreprise comme Uber n’aurait plus de sens. En tant qu’utilisateurs, vous auriez pu acheter des jetons pour aider au financement de cet outil, puis utiliser ces jetons pour prendre une course…
La “DAO” impliquerait donc à la fois les chauffeurs, mais aussi les utilisateurs (grand public, entreprises, institutions…) En bref, c’est également un potentiel énorme pour les coopératives, et notamment les SCIC (Société coopératives d’Intérêt Collectif).
- Un artiste comme Pboy (street-artist) utilise des QR code Bitcoin pour financer ses fresques dans la rue. La différence avec une cagnotte de type tipee est que les fonds lui appartiennent instantanément et aucun Etat, ou aucune organisation ne peut venir les lui retirer.
fresque de l’artiste PBOY, “La Liberté guidant le peuple 2019” située au niveau du 156 rue d’Aubervilliers dans le 19ème arrondissement à Paris.
Un dernier exemple totalement imaginaire, juste pour la provocation et faire rire les experts :
Pourquoi est-ce que l’organisation même de l’État ne pourrait pas être pensée en P2P ?
Imaginez que les citoyens d’un pays décident de “valider” un programme politique ensemble, de le voter (par blockchain), puis de contrôler l’allocation du budget au centime près, pour la réalisation de ce programme ? Ainsi, le système de gouvernance serait “décentralisé” puisque assuré uniquement par les citoyens sans organisation “centrale”.
Techniquement, c’est possible… Reste que nous avons encore quelques années avant que les expériences utilisateurs, ou que les populations soient prêtes !
Pour finir, il faut comprendre que l’open source est une des pierres angulaires du peer-to-peer.
En effet, pour qu’un logiciel, protocole, ou application appartienne à ses utilisateurs, il faut que le code soit ouvert et qu’il puisse faire l’objet de modification, d’amélioration, ou de vérifications par les communautés qui l’utilisent.
Deux ou trois rendez vous à ne surtout pas rater durant la semaine du P2P festival ?
Le vendredi soir à 20h, nous sommes très heureux d’accueillir Antoine Champagne (co-fondateur de Reflets.info) pour une conférence intitulée :
Journalisme & Protection des sources : État des lieux des services de renseignements mondiaux
Le Samedi sera une journée très remplie, avec notamment :
- des workshops afin de s’initier aux DAO (*decentralized autonomous organizations, ou organisations autonomes décentralisées)
- un panel d’interventions du Common Public Day, avec notamment Primavera de Philipi
Tous les jours de 18h à 22h, il y aura également l’artiste Fasto qui animera des fresques “peer-to-peer painting” ouverts à tous.
Et le dimanche 12 janvier à 18h, nous clôturerons le festival avec un concert exclusif du duo Global Network.
@zôÖma du collectif Paris P2P Festival
propos recueillis par Mathilde GIRAULT
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