Zéro chômeur de longue durée, et si c’était possible ?
Temps de lecture : 5 minutes
Rencontre avec Marie-Monique ROBIN, journaliste, auteure et réalisatrice de “Nouvelle Cordée”, un film documentaire qui retrace l’histoire de l’expérimentation « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée », lancée dans l’agglomération de Mauléon (Deux-Sèvres) en 2015.
Ce film plein d’espoir, nous prouve qu’avec de la patience et de la persévérance, certaines utopies peuvent se concrétiser, et se réaliser…
Qu’est-ce qu’un Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée ?
“Ca fait très longtemps que Patrick Valentin, militant d’ATD Quart Monde, travaille sur cette question du droit au travail et du travail pour tous, partant d’un constat en 3 points : personne n’est inemployable, ce n’est pas le travail qui manque et ce n’est pas l’argent qui manque. Il avait déjà essayé de mettre en place cette idée dans les années 90, bloqué faute de loi permettant les transferts financiers expérimentaux.
D’après ATD Quart Monde, un chômeur de longue durée coûte en moyenne 18.000 euros par an à la France, soit environ 70% du SMIC.
Pour arriver à ce résultat, le calcul intègre le RSA, mais aussi toutes les “externalités négatives”, c’est-à-dire l’argent que l’Etat dépense pour assister ceux qui sont dans la précarité, et l’argent qu’il ne perçoit pas de ces personnes qui ne cotisent pas.
L’idée de Patrick Valentin, est de transformer ces dépenses “passives” en dépenses “actives”, en les transférant vers ce nouveau système, une entreprise à but d’emploi (dite EBE), dont le but est simplement de créer de l’emploi. Celle-ci doit ensuite dégager un minimum de 5.000€/an par équivalent temps plein pour pouvoir payer le SMIC en intégralité à chaque salarié.
Au 1er janvier 2017, les premières EBE ont ouvert leurs portes à Mauléon, en Nouvelle-Aquitaine et dans 9 autres territoirs d’expérimentation.
Une première évaluation a montré que ces entreprises avaient réussi à atteindre leur objectif financier, une deuxième évaluation a révélé que les anciens chômeurs qui désormais cotisent et dépensent, rapportent l’équivalent de 18.000€/an à l’Etat.”
« Nouvelle Cordée », pourquoi ce titre ?
“Quand on cherchait un titre, Emmanuel Macron parlait des “premiers de cordée”, l’idée que le succès des uns ruisselle sur le reste de la société. Je trouve que c’est une belle image, qui exprime qu’on est tous solidaire et qu’il faut qu’on le soit. Cette image sportive de la cordée, où chacun est interdépendant, relié aux autres par une corde qui symbolise la vie.”
Comment est née l’idée de réaliser ce documentaire ?
“J’ai découvert par hasard cette initiative “zéro chômeur longue durée” fin 2014, lors de la présentation de mon film “Sacrée croissance”, un projet qui questionne le modèle économique dominant : j’avais fait le tour du monde des alternatives montrant ce que pourrait être un modèle débarrassé de cette obsession de la croissance.
Comme je suis originaire des Deux-Sèvres, j’ai appelé le Maire de Mauléon afin d’assister à une réunion des chômeurs en public. Ainsi j’ai pu gagner leur confiance et filmer toute la préparation de ce projet dès 2015.
photo : Laurie Bignonnet
Quand j’ai commencé à tourner, rien n’était sûr, on ne savait même pas si la loi allait passer. C’était une prise de risque, c’est parti d’une intuition, mais si la loi ne passait pas, je coulais ma boîte.
Je voulais que ce soit les chômeurs eux-mêmes qui racontent leur histoire, cette aventure humaine et collective vraiment exceptionnelle. Aujourd’hui je suis toujours très émue quand je revois ce film, on observe une transformation radicale entre ces chômeurs qui connaissent des situations très difficile, et leur témoignage 3 ans plus tard. Une évolution physique, morale et intellectuelle.”
En quoi une EBE a-t-elle un aspect à la fois social, écologique et économique ?
“Les activités développées par les EBE ne doivent pas être concurrentielles pour l’économie “classique”. Elles développent donc une économie de niche et circulaire, et cherchent à répondre aux besoins non-satisfaits sur le territoire, en réalisant des petits travaux plus utiles que rentables. Service à la personne, aux entreprises, aux associations…”
photo : Solène Charrasse
“On va essayer d’être la conciergerie de Mauléon. Prendre soin de la ville et de ses habitants” extrait du documentaire
“En territoire urbain comme rural, de nombreuses activités non-rentables pour des entreprises peuvent être réalisées pour répondre à des problématiques locales. Palettes mono-usage broyées et enfouies, fenêtres usées et bennes de textiles non-recyclées… Les EBE trouvent des solutions pour revaloriser les déchets, récupérer les textiles pour en faire des sacs, transformer un jardin en friche en potager…
C’est un laboratoire d’innovation sociale et économique où on replace l’humain au coeur du dispositif. Il en découle de nombreux effets positifs : qualité de vie, paix et lien social, solidarité, sentiment d’utilité…
Aujourd’hui la commune est apaisée, quand le mouvement des gilets jaunes est apparu il y a un an, il n’y avait personne sur les ronds-points de Mauléon.
Dans les EBE, les salariés sont satisfaits de gagner le SMIC. Ce n’est pas qu’une question de salaire, c’est la différence entre le travail et l’emploi : un emploi c’est alimentaire, un travail est nécessaire pour des questions de dignité et de reconnaissance sociale, et quand il a du sens, ça change tout.
L’objectif d’une entreprise à but d’emploi, c’est d’abord de créer de l’emploi, ensuite de rendre service, puis de générer un chiffre d’affaire, qui pour l’instant est en hausse chaque année. Il est nécessaire de laisser du temps aux EBE pour voir à quel point elles pourraient être autonomes.
Cette expérimentation est prévue pour une durée de 5 ans, nous attendons toujours une deuxième loi pour que les entreprises à but d’emploi puissent être autorisées à poursuivre leurs activités, et pour permettre d’étendre ce dispositif à 50 autres territoires.
Déjà 180 villes se préparent à postuler, le projet quant à lui est soutenu par 215 députés, mais si aucune loi n’est votée d’ici un an et demi, les EBE devront fermer.”
photo : Laurie Bignonnet
D’après-vous est-ce que le zéro chômeur longue durée à grande échelle est une utopie ?
“C’est une utopie dans un monde comme celui dans lequel on vit, où on a fini par trouver normal que le chômage augmente chaque année. Mais être chômeur longue durée, dans la société actuelle, c’est foutu. On ne peut pas laisser vivre les gens dans cette extrême précarité, il faut essayer de nouvelles choses.
Cette expérimentation vaut la peine d’être prolongée, mais ce n’est pas une utopie. Il faut montrer qu’il y a des alternatives parallèles au système dominant. Pour le moment dans les différentes villes en phase d’expérimentation, tous arrivent à la même conclusion : les résultats sont positifs et encourageants.”
Liens utiles pour en savoir plus :
Sacrée croissance, un film et un livre de Marie-Monique ROBIN, réédité récemment en format poche, une uchronie dans laquelle l’auteure raconte comment les humains ont réussi, vingt ans plus tôt, à éviter l’effondrement de leur civilisation.
Qu’est-ce qu’on attend ? Le premier film réalisé par Marie-Monique ROBIN pour le cinéma, raconte comment une petite ville d’Alsace de 2 200 habitants s’est lancée dans la démarche de transition vers l’après-pétrole en décidant de réduire son empreinte écologique.
Et d’autres projet à découvrir sur mariemoniquerobin.com
Propos recueillis par Frédéric Haury
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