4 questions pour demain avec Sakina M’Sa #modedurable
Pionnière d’une mode éthique, Sakina M’SA est la fondatrice de Front de mode et la directrice artistique des marques Sakina M’Sa et Blue Line. Elle défend une vision contemporaine du vêtement, en combinant esthétique et éthique, développement personnel et durable.
“De plus en plus l’impulsion vient du citoyen, dans plein de pays, et je crois que l’acte citoyen, cet acte d’activiste est très important.”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
D’abord c’est de ne plus revenir comme avant. C’est à dire qu’à un moment donné moi j’ai toujours été dans cette espèce de tunnel parisien de par mon travail de par l’exigence qu’il demande chaque saison, la régularité, sachant que l’on est passé de deux saisons à quatre voire huit collections par saison et ça devient assez ingérable. On n’est plus dans l’humain et ce que m’enseigne ce moment est ce temps suspendu, cette espèce de de slow down. Dans la mode éclairée, la mode durable qui est la mode éclairée pour moi, on a beaucoup parlé de slow down, c’est à dire de ralentir et là, tout d’un coup on se retrouve avec le monde entier qui ralentit et on se rend compte finalement qu’en fait on arrive à trouver des solutions pour travailler avec les équipes autrement, ne pas les stresser, respecter aussi des temps pour soi, des temps de méditation, des temps pour faire du yoga, des temps pour se nourrir. Parce que pour créer une collection de mode on doit se nourrir pour pouvoir prendre la parole chaque saison et dire des choses.
Elle m’enseigne aussi une chose c’est que il faut vraiment oser décider de faire autrement. Quand on ne parlait pas du tout de mode durable, on a osé dire voilà on a envie de faire comme ça, parce qu’on se sent beaucoup mieux comme ça tout simplement. Il faut décider d’oser parce qu’on se trompe rarement quand on écoute vraiment son intuition.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
Elle peut nous permettre de changer plusieurs choses. Au niveau économique d’une part. L’écologie, c’est l’économie de la nature. Ces trois mots sont liés et associer économie nature et écologie c’est incroyable.
Je me dis ça peut enseigner aussi aux gouvernements, aux décideurs, mais surtout à nous tous en tant que citoyens que l’on est passé à autre chose. De plus en plus l’impulsion vient du citoyen, dans plein de pays, et je crois que l’acte citoyen, cet acte d’activiste est très important. Il faut continuer à croire et aller voir le politique pour lui dire “c’est possible vous avez vu”, même si évidemment on est tous inquiets, même si le PIB en a pris un sacré coup.
Toutes les problématiques qu’on a eues avec les masques, avec tout l’équipement nécessaire pour sauver des vies, on se rend compte que c’est parce que l’on a tout délocalisé. L’enseignement c’est que à un moment donné on ne peut pas tout envoyer à l’extérieur. Sans faire de chauvinisme, moi j’adore les voyages, j’adore aller voir l’ailleurs _ on a beaucoup à apprendre des autres _ mais là tout d’un coup on apprend que le local c’est nécessaire, c’est indispensable, et pas que pour l’économie mais aussi pour sauver des vies.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
L’autre jour, j’écoutais en podcast, Laure Adler qui a reçu pendant une semaine Edgar Morin que je trouve merveilleux et qui rappelait que le Conseil National de la Résistance après la guerre a monté “Osons les jours heureux”. Aujourd’hui, on a ces papis merveilleux comme Edgar Morin, comme Claude Alphandéry, comme beaucoup d’autres qui ont porté cette phrase, ce slogan, ce mantra plus qu’un slogan, “Osons les jours heureux” et moi j’ai envie d’oser les jours heureux.
J’ai envie de me dire que c’est possible. Après restons tranquilles aussi, j’ai ce sentiment qu’il ne faut pas se mettre en tête que tout d’un coup on va appuyer sur un bouton et on va tous faire autrement. Je pense qu’il y aura des choses qui vont être comme avant. Je pense plutôt que quand on a essayé de faire du mieux pour la société pour pour la planète etc, il faut continuer et essayer de le faire encore mieux.
Je pense que ce qui ne sera plus jamais comme avant mais ça va être les mentalités. On va avoir des personnes qui auront vécu différemment et auront eu des prises de conscience. On va se rendre compte aussi que les infirmières, le personnel soignant étaient dans la rue depuis des mois et demandent depuis des années à ce qu’il y ai quelque chose de mieux qui se passe pour eux. Je pense aussi à tous ces gens de l’ombre, ceux dont on ne parle pas et dont on se rend compte qu’ils sont utiles, et qui sont dans la rue depuis tellement longtemps pour demander juste à avoir une maigre augmentation pour continuer à vivre. Tout d’un coup on trouve des moyens, des sous, des budgets. Et j’espère profondément que plus tard on se dira que quand il ya quelqu’un qui va dans la rue, ce n’est pas pour rien. Il y a une vraie demande sociale.
Je pense aussi aux femmes, aux femmes battues qui sont chez elles confinées avec un danger pour elles et je pense que tout ça va nous permettre de rétablir autrement les choses. En tant que marque, je trouve que le fait de travailler sur ces questions est important. Il n’y a pas de métier plus légitime que d’autre pour parler des droits des femmes, des inégalités, la preuve, la mode ça paraît complètement bling bling mais on peut faire en sorte de créer de la valeur avec la mode.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
En ce qui me concerne je vais essayer de poursuivre le combat tel qu’on l’a mené. Je m’interroge beaucoup depuis un moment, j’en parlais tout à l’heure, sur toutes ces collections que l’on réalise. A quoi ça sert ? On est vraiment dans cette société de consommation kleenex, on achète un vêtement qu’on ne portera peut-être pas ou qu’on portera peut-être trois jours et qu’après on va jeter.
Ce que ça va changer pour moi c’est que ça va me donner la force de me dire que je ne me suis pas trompée, et d’aller encourager d’autres personnes qui comme moi ont envie mais n’osent pas faire de la mode autrement. Aujourd’hui c’est un secteur, qui après le pétrole, pollue énormément. C’est un secteur qui n’est plus sur notre territoire parce que beaucoup d’usines ont fermé. Moi j’ai vraiment envie de participer à faire en sorte que les créateurs que je vends dans mon magasin Front de mode, aillent fabriqués dans les ateliers en France et il y en a de nombreux. J’ai vraiment envie de donner un petit coup de main là dessus pour pour être de plus en plus nombreux à fabriquer autrement et à relocaliser le plus possible.
Et puis je suis vraiment très fière de participer à la coopérative Les Gouttes d’Or de la Mode et du Design dans le 18ème arrondissement à Paris, installés d’ailleurs dans mon ancien atelier 6 rue des Gardes pour ceux qui sont déjà venus, où vraiment tout le monde s’est mobilisés.
Pendant longtemps je me disais que le vêtement ça ne sauve pas des vies et là on a eu l’occasion, modestement, de participer à soutenir des gens qui sauvent des vies, le personnel soignant mais aussi les gens qui font le ménage dans le métro etc. Je suis très fière parce que tout le monde s’est mobilisé en si peu de temps pour pouvoir livrer à la ville de Paris, et on espère bientôt la Région, le plus de masques possible. Ca pour moi c’est une des meilleures choses qui est arrivée pendant le confinement.
Un conseil pour penser l’après ?
Un livre d’Emanuele Coccia qui s’appelle Métamorphoses (Editions Rivages) et qui est assez incroyable vous verrez qu’à la fin du bouquin à un moment donné il parle du virus c’est saisissant.
Propos recueillis le 24/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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