4 questions pour demain avec Pierrick DE RONNE #entrepreneuriat
Pierrick De Ronne est le président de Biocoop SA.
Depuis plus de 30 ans, Biocoop repose sur un réseau d’indépendants engagés – consommateurs, producteurs, salariés, commerçants –, qui croient à l’intelligence collective pour produire et consommer autrement. En 2019, ce modèle coopératif unique regroupe 630 magasins et 3 600 fermes partenaires.
“Avec une entreprise, on peut monter un projet commun qui crée de la valeur et de la richesse, et pas uniquement financière.”
1. Qu’avez-vous fait de totalement inédit durant cette période que vous n’auriez pas osé faire autrement ?
Ce qui a était inédit c’est de me retrouver en famille pendant deux mois ! J’ai quatre filles, c’est vrai que j’ai été depuis quelques années très pris par mon travail, en tout cas ça s’est accéléré beaucoup notamment depuis un an, depuis que j’ai pris la présidence de Biocoop
Cet inédit m’a fait me rappeler au plaisir d’être en famille et aussi au partage du quotidien. Partager le quotidien de mes filles. Et du coup ça m’a beaucoup questionné cette période. C’est un accélérateur car ces questions étaient déjà très présentes. L’équilibre perso professionnel, la vie à Annonay _ je vis en Ardèche avec beaucoup de déplacements à Paris, trois quatre jours par semaine depuis quelques mois _ Donc cet inédit accélère les choses et je pense que je ferai autrement demain. Je commençais à rentrer dans une spirale uniquement de l’action. Agir et parfois du coup subir. Et là ce qui a été intéressant c’est que j’ai pu prendre du recul sur ce qui était important tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel. Du recul avec Biocoop, c’est étonnant peut-être pour un président de dire ça mais prendre un peu de distance m’a permis de me rendre compte aussi de ce qui était important pour Biocoop, de mon utilité et du sens que je pouvais amener dans mon rôle pour l’entreprise. Mon équilibre sera aussi important dans le rôle que j’aurai à jouer demain.
2. Quels changements avez-vous observés et qui pourraient s’installer durablement ?
Là je vais parler en tant que président de Biocoop évidemment. Il y a eu beaucoup de changements autour de la consommation. Encore une fois je pense que c’est un accélérateur, ce n’est pas forcément une nouveauté, on n’est pas forcément dans un nouveau monde, mais on voit bien que les choses doivent changer vite, vont changer vite, en tous les cas je l’espère.
On a deux modalités de changements. Sur la forme, faire des achats bruts, retrouver l’envie de cuisiner et de partager _ et puis peut-être l’obligation vue que les restaurants étaient fermés. Et ensuite sur les modalités de consommation avec un développement du e-commerce même chez Biocoop.
Et puis on voit aussi un mouvement un peu de fond, qui est souvent lié aux crises, ce besoin de se raccrocher à l’utile. On a entendu parler encore plus de circuits courts, de la qualité bio, de la qualité des produits. On a même vu les grands distributeurs se rappeler à la production française. On sent bien toute une interrogation autour de ça, des questionnements autour du lien entre consommation et citoyenneté, la prise de conscience que ma consommation est aussi un acte politique et que par ma consommation je peux changer les choses. Et donc en chaîne, on arrive au modèle coopératif. Je suis vraiment ravi que ces questions soient sur la table aujourd’hui, qu’elles soient très prégnantes parce qu’on peut mettre en avant la résilience du modèle coopératif et là, Biocoop a quand même pas mal de choses à dire.
On a choisi ce modèle de partage de la valeur de la richesse, de l’intégration de plusieurs sections _ le monde agricole, les magasins, les salariés, les consommateurs qui sont dans la gouvernance de Biocoop _ et ça a amené évidemment de la résilience. On se rappelle souvent au modèle coopératif en temps de crise. On va voir les salariés quand les entreprises sont à la limite de la faillite et on va leur dire de faire une Scop, de reprendre leur entreprise etc
Ce modèle permet de construire à moyen et long termes, de dépasser le court termisme, souvent uniquement lié à une ambition de retour sur investissement ou de création de richesses pour des intérêts particuliers.
Là, on a forcément un intérêt collectif, la coopération va servir une entreprise commune qui dépasse les intérêts personnels et particuliers.
3. Quelles solutions concrètes selon vous pour accélérer la transition écologique et sociale ?
Mes réflexions vont concerner beaucoup les entrepreneurs et le rôle de l’entreprise en général. Je n’exclus aucune forme d’entreprise, une association est une entreprise, une coopérative est une entreprise et une SA est une entreprise. Avec une entreprise, on peut monter un projet commun qui crée de la valeur et de la richesse, et pas uniquement financière.
Si on se rappelle aujourd’hui à ces circuits courts, à des ambitions autres que uniquement celles de faire de l’argent, alors chiche, écrivons-le dans nos textes et dans nos statuts. Impliquons les parties prenantes dans le projet, questionnons les fournisseurs, les clients et toutes les personnes concernées par l’entreprise. Idéalement on pourrait aussi dans nos entreprises interroger la planète. Quelles externalités on a pour la planète. Et puis le social évidemment, quel rôle social l’entreprise joue t-elle ?
Donc la première chose qui est importante pour moi c’est d’écrire ces ambitions là. On peut appeler ça entreprise à mission, entreprise à valeur, entreprise de l’ESS, il faut dépasser à mon avis ces divergences internes de terminologie, on a besoin d’y aller tous ensemble. Ecrivons-le dans les textes et que ce soit surtout opposable par des tiers, par les parties prenantes. Une fois que l’entreprise a mis ça comme ambition, elle en est comptable vis-à-vis des parties prenantes.
La deuxième chose concerne les externalités positives et négatives, il est important d’en tenir compte dans l’activité de l’entreprise. Il y a forcément deux leviers selon moi, la question de la comptabilité, aujourd’hui la comptabilité ne prend en compte que le financier. Toute la valeur sociale ou écologique n’est absolument pas intégrée voire même au contraire parfois polluer et détruire est créateur de valeur comptable bien que destructeur d’autres types de valeurs.
De cette comptabilité peut découler une fiscalité engageante, c’est à dire que s’il n’y a pas que le compte de résultat, avec le résultat qui est le socle de toute fiscalité, on va pouvoir fiscaliser les externalités négatives ou défiscaliser les externalités positives.
Cela amène à une réflexion plus globale qui serait peut-être une troisième proposition, que Bercy devienne le ministère de l’économie sociale et solidaire pour, au final, reconnecter le social et l’économique. Ce serait un formidable pas en avant et une belle image pour Bercy.
4. À votre échelle individuelle, qu’allez-vous faire ?
Ne plus m’excuser, en tout cas, porter une parole. On est dans un mouvement d’accélération, les sujets intéressants, en tout cas motivants pour la transformation, sont sur la table.
Et pour moi, il ya deux choses qui sont importantes là :
La première c’est qu’un autre monde existe. J’ai vraiment le souhait de m’engager notamment en étant administrateur du MOUVES, parce que je pense que l’on a besoin d’alternatives presque syndicales, c’est à dire de représentativité de ce mouvement, de l’ESS, des entreprises à mission, qui a besoin d’exister politiquement. Pour moi c’est un vrai engagement et je vais essayer d’y consacrer le temps que je peux
Et ensuite, dans un sens très progressiste, mais je pense que notre monde a besoin de radicalité _ Biocoop l’a été et biocoop l’est encore _ c’est à dire avoir des positionnements assez clairs, saillants, qui nous permettent vraiment de transformer et d’embarquer avec nous toutes les personnes qui ont envie de ce changement.
Ce qui me travaille beaucoup en ce moment, c’est la question de la décroissance. On sort d’un monde où la croissance a été reine et la décroissance fait peur. Dans l’imaginaire, ce serait un retour en arrière, il faudrait revenir à la charrue, or moi je pense qu’on peut allier décroissance et développement. Biocoop en est certainement un exemple. On peut consommer moins mais mieux, donc continuer à croître _ je ne cache pas une certaine ambition pour Biocoop, peser peut-être 3 ou 4 milliards de chiffre d’affaires, 1000 magasins, _ c’est du développement parce qu’il ya une demande, il y a une ambition sociétale, il y a du sens aussi au développement de Biocoop.
A côté de moi le livre d’Eloi Laurent qui s’appelle “Sortir de là croissance mode d’emploi”, j’essaie de me questionner sur ces sujets et de sortir du milieu très écolo radical, je pense que c’est une vraie question et que de toute façon on n’aura pas le choix. Il va falloir faire décroître la pression sur la planète et accroître ces notions de bien-être, d’utilité, de plaisir. Un autre monde est possible, il est encore temps de construire ensemble mais plus on attend et plus on risque une situation où le non choix nous obligera. Là, on n’est pas encore obligé, on a encore le choix. Après, ça demande beaucoup de courage, de renoncement certainement mais j’espère que toutes les personnes qui pensent ces phénomènes là seront écoutées. Les scientifiques et les experts divers et variés, mais surtout les philosophes, les sociologues et certains économistes qui permettent de construire ce monde là plus résilient et plus décroissant.
Propos recueillis le 22/05/2020.
+ de vidéos
Les acteurs culturels passent à table
Manger et sauver la planète, une programmation...
Demain, tou·te·s paysan·ne·s ?
Manger et sauver la planète, une programmation...
De l’utopie à la réalité : révolutionner notre système alimentaire
Manger et sauver la planète, une programmation...