4 questions pour demain avec Caroline Neyron #économie
Caroline Neyron est la Déléguée générale du Mouvement des Entrepreneurs Sociaux (le MOUVES), ayant aussi l’ambition de devenir un grand mouvement citoyen pour l’entrepreneuriat social.
“Il faut inciter les entreprises à mettre au coeur de leur modèle, leur impact social, leur impact environnemental”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
La crise actuelle nous enseigne la grande fragilité de notre mode de fonctionnement et notamment pour moi, qui parle au nom du Mouvement des Entrepreneurs Sociaux, de notre économie, de la manière dont elle fonctionne.
L’interdépendance folle qu’on a avec une diversité de pays importante et notre incapacité à avoir une économie souveraine qui fait qu’aujourd’hui, on est tellement interdépendants que l’on en est devenus extrêmement fragiles.
Ça démontre ce qu’on savait déjà, que l’on n’a pas d’industrie en France, que l’on est hyper dépendants d’industries extérieures. Ce n’est pas vraiment une surprise, c’est juste une accélération de la démonstration.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
C’est un moment pour, peut-être, repenser les choses en ayant vu crûment les failles du système et peut-être pour accélérer des changements, ou pas.
Nous ce qu’on espère, c’est que ça va permettre de reposer la question de la construction de filières sociales, durables, solidaires, ancrées sur les territoires comme celles que l’on essaie de construire depuis des années. La souveraineté et la résilience de filières alimentaires, de filières textiles, de filières sanitaires, nous montrent à quel point c’est important. Et puis, la manière dont les gens en première ligne ont fait face, et ont permis au pays de faire face, nous montre aussi leurs forces et comment on peut s’appuyer sur elles pour capitaliser sur la suite. On espère avoir démontré ça, que les gens qui sont sur ces filières déjà solidaires et durables sont très forts. On peut s’appuyer dessus pour reconstruire le pays et que potentiellement les questions qui s’ouvrent ici aujourd’hui, elles peuvent nous aider à penser demain. La place des salariés, le rôle des salariés, le partage des décisions et des richesses avec les salariés, sujets que l’on porte et qui nous paraît encore plus criant aujourd’hui avec les salariés les plus souvent en bas de l’échelle qui sont en première ligne, qui aident le pays à tenir, par exemple.
En même temps, on voit le risque, on voit à quel point le système d’avant a envie de se remettre en place. Alors bien sûr, par rapport à ce qu’on prône depuis des années, on a envie de dire qu’on a fait la preuve que c’est juste, qu’il faut accélérer et que tout est en place aujourd’hui pour accélérer une autre économie. En même temps, on sait très bien que ça ouvre aussi peut-être le retour de balancier à une économie encore plus financiarisée, plus axée sur des profits à court terme, sous l’aune de refaire partir la machine.
On reste dans un combat, on n’est pas hyper optimistes, ni pessimistes, mais on se dit que tout le monde a l’impression qu’il a la bonne solution et qu’il va donc falloir que l’on démontre que la nôtre est la bonne.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Pour ne pas qu’on reparte à la normale, je pense qu’il faudra montrer ce qui a marché et montrer que ce qui, parfois, passe au second plan, peut être au premier plan. Que les enjeux de justice, de partage, de solidarité, de souveraineté, sont les enjeux clés et qu’il faut parier là-dessus pour reprendre le chemin d’une économie plus durable. Et je pense qu’il faut proposer très clairement des solutions globales, pas seulement des incantations mais des solutions précises de comment on reconstruit très concrètement un tissu économique avec d’autres valeurs.
En fait, nous on dit juste que c’est pas très compliqué, que l’on peut conditionner toutes les aides d’État à un plus juste partage des pouvoirs et des richesses avec les salariés. Bruno Le Maire a déjà parlé des répartitions de dividendes avec les actionnaires, il a parlé aussi du salaire et des bonus des dirigeants. Macron a parlé de l’enjeu de revaloriser les plus bas salaires des gens qui sont en première ligne. Voilà tout le monde en parle, maintenant, il faut le faire et c’est pas compliqué. On connaît les solutions, il faut inciter les entreprises à mieux partager leurs richesses et leurs pouvoirs.
Et puis la deuxième chose, est qu’il faut inciter les entreprises à mettre au coeur de leur modèle, leur impact social, leur impact environnemental. Que ce ne soit pas quelque chose d’annexe à leurs résultats financiers mais qui soit au coeur de ce qu’on leur demande et notamment de ce que l’État demande. Que l’État fasse évoluer possiblement sa fiscalité, ses aides, sa manière de fonctionner, suivant pas seulement les résultats financiers, mais aussi les résultats sociaux et environnementaux.
Il faut que l’État s’engage clairement dans la relance. Il aura beaucoup donné, s’il souhaite que les choses fonctionnent différemment par rapport au résultat de cette crise, il faut qu’il fasse des propositions concrètes et qu’il incite les entreprises à changer.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
Nous, le Mouvement des Entrepreneurs Sociaux, très concrètement depuis le début de la crise, on est au quotidien en lien avec les entrepreneurs qui la subissent de plein fouet, au quotidien avec les entrepreneurs qui sont avec les plus fragiles, parce que c’est leur essence même. Notre enjeu est de les soutenir pour qu’ils puissent passer cette étape, de les aider à envisager la relance et puis de travailler avec tous les pouvoirs publics locaux et nationaux à ce que, ceux qui ont été les plus présents pour répondre aux urgences, soient aussi ceux qui soient aidés à repartir à leur juste niveau, à leur juste valeur.
Or on a vu par exemple que dans les premières mesures de soutien aux entreprises, beaucoup des entreprises sociales avaient été oubliées. Parce que leur modèle est un modèle d’organisation économique spécifique, très peu capitalisée avec une organisation et un rapport entre le chiffre d’affaires commercial et social qui n’est pas compris par les banques.
Donc voilà tous les jours les décisions prises, on les analyse pour qu’elles puissent être adaptables aux entreprises sociales et que ces entreprises qui inventent le monde de demain, le monde qui nous paraît plus soutenable, plus durable, elles soient encore plus nombreuses et plus valorisées pour se développer dans le cadre de la relance.
En une phrase pour préparer le monde de demain je pense que tous les citoyens savent qu’ils peuvent être acteurs. Leur citoyenneté c’est voter, c’est discuter, c’est échanger mais c’est aussi consommer ! Donc j’invite chacun à regarder sa manière de consommer, regarder où les choses sont faites, comment elles sont faites et avec qui elles sont faites.
Propos recueillis le 16/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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