4 questions pour demain avec Aurélie Piet #économie
Aurélie PIET est économiste, chercheuse indépendante, auteure et conférencière. Son dernier livre : “Quand l’Homo economicus saute à l’élastique…sans élastique” est publié aux éditions Plon.
“Le PIB un indicateur de croissance, qui est juste quantitatif et financier, or il faudrait que nous basculions vers des indicateurs plus qualitatifs, de prospérité, de qualité de vie, de bien-être.”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
Cette crise sanitaire pour moi vient s’ajouter à de nombreuses autres crises comme la crise démocratique, la crise environnementale, la crise démographique, le crise économique, la crise sociétale. Donc elle vient nous témoigner, ou du moins confirmer, que notre monde est malade. Symboliquement je trouve que c’est fort aussi, oui ce monde là aujourd’hui il est malade. Après ça vient nous enseigner aussi l’importance du rôle de l’État dans ce contexte. Puisqu’il y a une prédominance du libéralisme aujourd’hui, là, ça nous montre l’importance de l’État, ça nous montre qu’il doit reprendre ses pleins pouvoirs et ses pleines missions, notamment sur les secteurs d’activité comme la santé ou l’éducation où on ne peut pas faire d’économie ni raisonner en termes de rentabilité sur des secteurs comme ça.
Par ailleurs, je trouve aussi que ça réoriente nos priorités vers l’essentiel. Aujourd’hui justement, on se rend compte que l’essentiel ce n’est pas la rentabilité, ce n’est pas le profit, l’argent, ce n’est pas la réussite mais c’est vraiment le bien-être, la santé, la qualité de vie. Ce sont des valeurs plutôt qualitatives qui comptent.
Et puis, à un autre degré ça témoigne aussi de notre vulnérabilité, de notre dépendance et qu’il nous faut finalement changer de modèle. Aller vers un modèle plus résilient, retourner sans doute vers une économie locale sur ces éléments là.
Pour terminer je dirais que ça met en valeur les inégalités dans la société en montrant les inégalités de certaines populations, comme les sans abris, les migrants ou les travailleurs précaires.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
Tout, cela peut permettre de tout changer, ça serait l’occasion.
Parce que comme c’est notre modèle de société qui va mal et que tout est lié, que ce soit le politique, l’économique, le financier, c’est l’occasion de changer notre modèle. Que l’on aille vers un projet de société qui soit plus vertueux, un projet de société où ça ne soit pas l’argent et le profit qui soient mis au centre mais précisément la qualité de vie, le bien-être et la prospérité. C’est l’occasion de basculer vers ca.
Sur les modèles économiques c’est pareil, ça serait l’occasion de ne plus faire un focus sur nos richesses, j’allais dire quantitatives, sur les indicateurs quantitatifs et financiers mais plutôt de basculer vers les richesses qualitatives, de bien-être, de bonne santé de la population ou bonne santé de la terre.
Et ce serait l’occasion de revoir notre système monétaire, parce que notre dette va se creuser et quand on sait que finalement c’est notre système monétaire qui crée lui-même la dette, c’est peut-être l’occasion de repenser tout ça. Ce financement là qui se fait aujourd’hui principalement par les banques privées, qui fait qu’on a des taux d’intérêt relativement forts, et qu’on ne peut pas continuer comme ça à creuser cette dette de manière indéfinie. Donc c’est aussi l’occasion de changer de système monétaire.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Je crois que chacun effectivement a un rôle à jouer. Dans l’idéal, ça serait que les pouvoirs publics en premier lieu changent d’indicateurs. Les indicateurs aujourd’hui, c’est ce qui oriente vraiment notre économie, donc la première chose à faire serait de réorienter ces indicateurs. Le PIB un indicateur de croissance, qui est juste quantitatif et financier, or il faudrait que nous basculions vers des indicateurs plus qualitatifs, de prospérité, de qualité de vie, de bien-être.
Je crois également qu’il y a un vrai travail à faire au niveau des collectivités locales, avec les citoyens, avec les entreprises pour recréer un territoire résilient. A une échelle plus locale, créer un territoire résilient qui résiste aux chocs en développant, par exemple, les monnaies locales, en faisant en sorte aussi que les entreprises échangent sur le local, qu’elles aient des fournisseurs en local, que les clients soient locaux aussi, que les matières premières soient favorisées sur les territoires.
Tout le monde a son rôle à jouer sur ce volet du territoire résilient. Les citoyens pour faire fonctionner cette économie, les entreprises pour qu’elles jouent le jeu et les banques qui doivent accompagner aussi ce phénomène.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
A mon échelle je vais poursuivre ce que j’ai commencé à faire, diffuser le message comme quoi il faut réinventer notre économie, que c’est indispensable, qu’il faut qu’on change de modèle de société. Et faire savoir aussi que cette société a déjà commencé à changer car il y a plein d’initiatives positives qui vont dans ce sens, remettant au centre des priorités l’homme et l’environnement. Cela passe par faire des conférences auprès des entreprises des collectivités et par l’enseignement aussi pour toucher les jeunes générations et les étudiants.
Je me suis impliquée aussi au niveau de ma commune pour essayer de m’investir sur ces changements à l’échelle locale et voir comment mettre tous ces éléments-là en pratique.
Enfin, je suis en train de travailler sur un projet avec deux autres personnes sur comment on peut rassembler tous ces gens qui sont éparpillés et qui ont envie de créer le monde de demain. C’est important de se rassembler, d’être identifiés. On sera sans doute plus fort pour réussir à faire basculer les choses.
Pour que ce monde change il faut commencer à changer soi-même donc faire un vrai travail au niveau personnel et pouvoir répondre à ces questions toutes simples : où est l’essentiel et et qu’est ce qui est important finalement dans ma vie.
Propos recueillis le 16/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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